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Serons-nous toujours considérés comme de vrais collectionneurs ? - Partie 1/2

Publié le par Alexandre


Notre société actuelle est en pleine révolution numérique. L’ensemble de notre quotidien se retrouve ainsi dématérialisé. Nos divertissements, notre vie sociale, notre administration, l’accès à l’actualité… Internet est désormais indispensable. Presque toute notre vie est en ligne. Les objets physiques, tels que les timbres, les CD, les DVD et les jeux vidéo ont basculé dans le monde numérique. Cependant, qu’en est-il du collectionneur d’objets ? Se retrouvera-t-il sans nouveaux objets à collectionner ? L’objet dématérialisé peut-il être un objet de désir pour le collectionneur ? L’objet tangible est-il plus intéressant ? En regroupant ces différentes questions, je suis arrivé à me demander si les objets dématérialisés peuvent être considérés comme des objets de collection.

C’est via une série de deux articles que j’apporterai des éléments de réponses issus de mes recherches et de mon mémoire de fin d’études. Cette énumération d’éléments est bien entendu non exhaustive mais elle apporte plusieurs explications.

1. A quoi correspond une collection ?

1.1) Définitions

Pour bien commencer, il est important de faire un tour du côté des définitions. A quoi correspond la notion de collection ?

Le Petit Robert définit la collection comme une “réunion d’objets ayant un intérêt esthétique, scientifique, historique, géographique, une valeur provenant de leur rareté, ou rassemblés par goût de l’accumulation”. Le Larousse complète cette définition en ajoutant que dans cette “réunion d’objets”, ces derniers sont “classés” et sont en “grande quantité”. La caractéristique principale d’une collection serait d’être un tout organisé qui suit une logique d’un thème référent. L’amas d’objets hétérogènes est donc à exclure complètement. Les objets forment une collection uniquement s’ils sont reliés par un thème, un aspect “esthétique”, culturel ou financier.

Les collectionneurs eux-mêmes partagent la même définition. Selon la Fondation pour l’étude et le développement des collections d’art et de culture (Collectiana.org), une collection repose sur le principe de “réunion d’un ensemble d’objets qui présentent, aux yeux du collectionneur, une forme de cohérence entre eux. De la collection d’œuvres artistiques à la collection de nains de jardin, l’intérêt à débuter ou poursuivre une collection peut relever de divers ordres (historique, esthétique, scientifique ...)”. Les passionnés qualifient aussi les collections de rassemblement de pièces ayant une “forme de cohérence entre [elles]”.

Le philosophe Krzysztof Pomian1 définit la collection comme étant un “ensemble d’objets naturels ou artificiels, maintenus temporairement ou définitivement hors du circuit d’activités économiques”. Il ajoute également que les objets de collection sont “soumis à une protection spéciale et sont exposés au regard dans un lieu clos aménagé à cet effet”. Les objets d’une collection sont élevés à la catégorie de relique pour le collectionneur. Des objets similaires ou identiques peuvent ne pas intéresser le collectionneur. Dans le cas, par exemple, d’un timbre qu’il posséderait déjà de nombreuses fois. Le premier objet collectionné est toujours très protégé.

“Une collection est un ensemble, une accumulation et un rassemblement d’objets animés selon le même thème ou sujet.”

Le terme anglais pour nommer un objet de collection est collector. Ce mot a dérivé de la langue anglaise et désigne une notion différente en français qu’il est important de clarifier. Selon la définition du Petit Robert, le mot “collector” est un “objet commercial à diffusion limitée, recherché par les collectionneurs”. Un objet collector est toujours un objet de collection et s’intègre tout aussi bien dans le concept de la collection. Son tirage est limité, il est produit en petit nombre. Malgré cela, son caractère initial diffère d’un objet “normal” de collection. L’objet de collection se distingue par le fait qu’il est un objet du quotidien, potentiellement utilisable par un individu pour réaliser une action. L’objet collector a un but commercial et donc son objectif est d’être collectionné immédiatement. A part cette légère différenciation, l’objet collector retrouve toutes les caractéristiques de la définition d’un objet de collection.

Il existe plusieurs définitions pour désigner la collection. Nous comprenons très vite qu’une collection est un ensemble, une accumulation et un rassemblement d’objets animés selon le même thème ou sujet. Elle possède une valeur économique mais ne circule pas sur le marché. Le collectionneur est aussi propriétaire de ses objets.

1.2) Les catégories de collection

Il existe autant de catégories de collections que d’objets. Qu’est-ce qui nous interdirait, dans la limite de la légalité, de collecter et de constituer en collection des objets quelconques ?

Il n’existe pas de catégories de collections dites officielles. Cependant certaines sont plus populaires que d’autres. L’acte de collectionner les cartes postales est la cartophilie. La carte postale, introduite au XIXème siècle, a été popularisée au début du XXème avant la mise en place générale du téléphone. La cartophilie constitue avec la philatélie deux grandes familles de collections. En 1840, le premier timbre “Penny Black” a été imprimé. Les collectionneurs de monnaies sont les numismates, ceux des marque-pages les chartasignopaginophiles et ceux des boules à neige les chionosphéréphiles. Ces noms très longs sont souvent issus du grec ancien. Le suffixe -phile utilisé vient du mot φίλος, philos, qui signifie “ami, personne qui aime”.

Premier timbre du monde, le Penny Black, venu du Royaume-Uni

Le premier timbre, “Penny Black”, 1840, Royaume-Uni

D’autre part, les cabinets de curiosités sont apparus au XVIème siècle avec la montée des érudits scientifiques dans toute l’Europe. Après une grande période d’inquisition au Moyen âge, où l’Église dictait les lois de la nature des choses, les nouveaux scientifiques ont essayé de comprendre et d’analyser le monde naturel qui les entourait. C’est la recherche de connaissances qui va guider ces savants et alimenter ces cabinets.

On y distingue 4 grands types de collections trouvables dans ces lieux excentriques. Les objets relevant de la nature (naturalia) avec les minéraux, animaux et végétaux. Les objets créés par l’homme (artificialia) comme les tableaux, médailles ou encore les oeuvres. Les objets à visée scientifique (scientifica) tels que les instruments scientifiques. La dernière catégorie caractérise le plus souvent ces cabinets dans notre idée collective. Il s’agit des objets exotiques (exotica) qui représentent des objets ethnographiques ramenés de voyages lointains.

La collection désigne aussi une réunion d’objets ayant un intérêt pour la personne réalisant l’acte. Ceci ne serait-il pas une démarche réalisée par tous les individus au cours de leur vie ? Chaque être que nous sommes a déjà collectionné et collectionnera encore, peu importe son âge et son centre d’intérêt. En juillet 2016, sorti le jeu vidéo mobile Pokémon GO qui eu une très grande effervescence auprès du public, notamment grâce à son aspect nostalgique. Cette application mobile a su mobiliser plus de 65 millions de joueurs actifs par mois avec un but unique : Gotta Catch ‘Em All ! L’objectif est de capturer ces fameux Pokémons, de les rassembler et ainsi de suite. Ceci est la définition même du collectionneur. D’autres exemples d’objets ayant comme thème Harry Potter ou des artistes musicaux illustrent parfaitement ce phénomène général. Conclusion : tout le monde a déjà collectionné, collectionne et collectionnera encore.

Parc regroupant des joueurs du jeu Pokémon GO

Regroupement de joueurs de Pokémon GO au parc de la Villette à Paris, Maxime Bacquié, 2016

2. Quels points de vue psychologique sur le collectionneur ?

Différente de la définition générale, la psychologie apporte la notion de perception du collectionneur vis-à-vis de l’objet. Le Grand Dictionnaire de la psychologie définit la collection en s’accompagnant de la théorie de Jean Piaget, psychologue du XXème siècle. La collection est un “rassemblement d’objets discrets en petits agrégats soit en fonction de leur appartenance à une configuration perceptive (collection figurale), soit en fonction de ressemblances entre objets à classer (collection non figurale)”. Il existe deux types de classification selon J. Piaget : la figurale et la non-figurale. Ces deux types de classifications d’objets caractérisent l’acte de collection.

Les objets de la collection figurale appartiennent à une même structure perceptive. Ils jouent avec un de nos cinq sens. Nous allons rassembler ce que nous trouvons pareil avec comme seule distinction sa forme, son toucher, son odeur ou son bruit. La collection figurale rassemble les objets selon une propriété concrète : la grandeur, la couleur, la forme…

Quant à la collection non-figurale, les objets sont rassemblés avec une logique de distinction en fonction de l’usage de l’objet. Il s’agit ici de rassembler selon une propriété abstraite. La classification se fait donc avec plusieurs critères conceptuels.

Attaches refermables pour sac plastique.

Type de collection non-figurale, attaches refermables, Geoffrey Dorne, 2010

Le psychanalyste Werner Muensterberger2 définit la collection comme “le choix, la réunion et la conservation d’objets qui ont une valeur subjective”. Certains objets sont importants pour une raison propre à l’individu. Tel objet ne sera pas estimé par quelqu’un d’autre. Cet ensemble d’objets qui constitue une collection est “doté d’une valeur ajoutée”. L’objet n’est plus qu’un seul objet banal pour son collectionneur. Il en devient important.

Le professeur d’Archéologie antique, Alain Schnapp3, qualifie l’action de réaliser une collection comme “quelque chose d’indéfinissable”. Il est vrai que le fait “d’extraire à leur environnement des objets”, de les retirer de leurs fonctions utilitaires et de les “préserver, étudier et exposer” est quelque chose de très étrange au premier abord. Quelles satisfactions connaissent les individus pour passer leur temps libre et “tout sacrifier à cette quête” ? Il est évident qu’un plaisir se cache derrière cela. Le collectionneur se repose sur ce cadre rassurant qu’il a créé lui même. Les objets d’une collection ont un sens pour l’individu. Ils ne sont plus des objets du quotidien réduits à leur simple fonctionnalité technique. K. Pomian appelle ces objets de “sémiophores”. C’est-à-dire un objet qui va avoir une signification symbolique pour un groupe ou une société à un moment donné. Chaque objet ou groupe d’objets ont un sens pour son collectionneur. Un sens qui peut être affectif, familial, économique ou encore historique.

Bibliothèque d’une collection de vinyles.

Collection de vinyles, objets privés de leur fonction initiale, Adventures In Record Collecting, Eilon Paz, 2014

Le collectionneur éprouve un besoin irrésistible de récupérer des objets. Ce rassemblement n’est pas uniquement conféré par nos besoins psychologiques. Les objets de collection représentent une aura sociale pour le collectionneur.

3. Quels points de vue sociologique sur le collectionneur ?

La sociologue définit aussi les groupes d’individus qui déterminent le collectionneur. Contrairement à l’aspect psychologique, la sociologie va étudier la multiplicité des cas et non le cas unique. L’important est de comprendre comment fonctionne ce phénomène social. Est-il commun à plusieurs civilisations/sociétés ? La collection permet-elle de rassembler les individus ? Ou justement de les différencier ? Que procurent socialement les collections pour le collectionneur ?

Toutes les disciplines s’accordent à dire que le collectionneur est un individu qui accumule, possède et se passionne pour des objets. La sociologie insiste sur le caractère subjectif de la personne face à sa collection. Cette affection avec l’objet n’est pas en rapport avec sa valeur marchande ou son utilité. Les objets collectionnés n’ont pas de fonction à proprement parler. Ils ne sont pas utilisés et utilisables.

Il est très compliqué de trouver des études et des statistiques sur la population des collectionneurs. Les collections d’objets ne sont répertoriées par aucune nomenclature de l’INSEE4. Cependant “les clubs de collectionneurs” sont intégrés dans une sous-catégorie appelée : Sous-catégorie 94.99.16 - Services fournis par des associations culturelles et récréatives. Elle fait notamment référence aux amateurs d’oeuvres d’art car il est question d’art. Nous utiliserons les catégories d’individus définies pour les collectionneurs d’objets d’art. Le profil est différent mais il se rapproche au plus du collectionneur d’objets du quotidien.

Le statut du collectionneur a beaucoup évolué au cours du temps. Le contexte historique va déterminer à chaque époque la manière de collectionner et le pourquoi. L’objectif de la collection est différent en fonction de l’ère du collectionneur. Selon Nathalie Moureau, Dominique Sagot-Duvauroux et Marion Vidal5, le XIXème siècle intégrait trois grands types de collectionneurs. Le collectionneur “curieux” souhaitait posséder toutes les pièces d’une collection. Le “connaisseur” pouvait expliquer scientifiquement chacune de ses pièces, il était méticuleux et expert. Et finalement, “l’amateur” était guidé par “son goût et son capital culturel”.

William McIntosh et Brandon Schmeichel6 distinguent quatre catégories de collectionneurs. Pour lui, le “passionné” est un collectionneur “obsessionnel et capable de payer” le prix fort pour acquérir un objet de collection. Le collectionneur “curieux” voit en sa collection un investissement (financier ou social). S’ensuivent “l’amateur” qui va collectionner pour son plaisir personnel et “l’expressif” qui voit son reflet dans sa collection.

Selon Yann Potin7, l’accumulation et l’appropriation des objets collectionnés permettent à l’individu une mise en scène de lui-même. Il va se montrer, participer activement à des groupes partageant le même type d’objet. Cette mise en avant va lui conférer un certain pouvoir social.

La sociologie analyse le caractère social des collections. Le collectionneur acquiert une identité au sein d’une communauté. Ses objets de collection créent du lien social.

L’objet est aussi considéré comme objet de pouvoir pour le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi8. Posséder un objet véhicule des valeurs de pouvoir induites par notre société. Ce pouvoir est exprimé par les voitures, les bateaux, les équipements de sports et les maisons. Par ailleurs, posséder des objets rares et anciens montrent le besoin de pouvoir désiré par l’individu. La vue de l’autre et sa réaction donnent un sentiment d’insécurité et blessent le Soi d’un individu. Les objets que nous possédons ont des qualités que les autres apprécient et ces réactions nous donnent un sentiment positif et solide. Chaque période d’une vie possède ses objets à conserver car leurs significations pour son Soi évoluent. Les objets ont un pouvoir. C’est ce pouvoir que l’individu récupère.

“Les rites de passage sont peu nombreux dans notre société.”

Les rites de passage sont peu nombreux dans notre société” mais certains se caractérisent par l’acquisition et la possession d’objets. Jeremy Rifkin9 prend l’exemple de la voiture. L’achat d’une voiture procure à son acheteur “le statut de propriétaire” et devient un “rite d’initiation à l’âge adulte”. Etre propriétaire d’une voiture (ou d’un objet important) donne des responsabilités. Cela permet aussi de revendiquer “une identité personnelle et un statut social”. Pour le propriétaire, sa voiture est “un prolongement de sa personnalité”.

Selon l’historien Y. Potin, le collectionneur se construit une “identité sociale autonome” grâce à ses objets. La bibliothèque en est un parfait exemple. Elle constitue un capital culturel. Le rassemblement de ses objets crée une “identité singulière ou institutionnelle” qui voyage et tient dans le temps. La collection permet “l’élaboration d’une mémoire”. L’identité rejoint la notion de mémoire. Il existe de nombreuses mémoires. Chaque conscience collective ou individuelle possède sa mémoire. Les bibliothèques sont des puits de savoirs et des auteurs des mémoires. Les collections s’intègrent dans ces “lieux de pouvoirs”, les bibliothèques. Les époques révolutionnaires ont permis de redistribuer les objets et d’ouvrir les objets de collections au peuple. Cela a amené vers la création du “modèle d’un Etat collectionneur”. Les collections assurent un “identité nationale”, fondement même du patrimoine. Il est important de réaliser la “sauvegarde des objets du passé”. Ceux-ci constituent un pouvoir culturel.

Pour conclure…

Les collections sont essentielles pour l’Homme. Elles lui permettent de trouver un refuge et de s’affirmer socialement dans un groupe. Selon les définitions vues, le collectionneur possède ses objets. Il peut les toucher. Une collection, telle que nous la connaissons, est composée d’objets tangibles. Cependant notre vie est numérique aujourd’hui. Que se passera-t-il pour notre avenir ? Pourrons-nous trouver les mêmes objets au format dématérialisé ? Et surtout seront-ils équivalents en tout point ?

N’hésitez pas à donner votre avis sur cet article via l’espace commentaire ou de m’envoyer un mail à lamiducollectionneur@gmail.com si vous avez des remarques ! 🙂

Continuez votre lecture avec la dernière partie de cette série d’articles consacrée à la dématérialisation et les nouvelles formes de collection grâce au numérique !

Bibliographie

Photo de couverture : Une collection de clés anciennes, Iep - J. Bacot & H. de Lencquesaing https://www.expertissim.com/collection-clefs-anciennes-12156446

1. POMIAN Krzysztof, Collection : une typologie historique, Romantisme, 2001, n°112.

2. MUENSTERBERGER Werner, Le collectionneur : Anatomie d’une passion, Payot, 1996

3. SCHNAPP Alain, Collection et mémoire, Éditions de la Sorbonne, 2004

4. Institut national de la statistique et des études économiques.

5. MOUREAU Nathalie, SAGOT-DUVAUROUX Dominique et VIDAL Marion, Première partie : Lever de rideau sur les collectionneurs, Collectionneurs d’art contemporain, 2016

6. MCINTOSH William et SCHMEICHEL Brandon, Collectors and Collecting: A Social Psychological Perspective, Leisure Sciences, 2010

7. POTIN Yann, Collections et trésors. Représentations sociales et politiques de l’accumulation, Hypothèses, 2003

8. CSIKSZENTMIHALYI Mihaly, Why we need things, History from things: essays on material culture, Smithsonian Institution Press, 1993

9. RIFKIN Jeremy, The Age Of Access: The New Culture of Hypercapitalism, Where All of Life is a Paid-For Experience, Putnam Publishing Group, 2000



Commentaires

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Jean claude, le 07 novembre 2020

Article intéressant de haut niveau intellectuel

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Alexandre, le 07 novembre 2020

Merci Jean-Claude pour votre retour. La suite très bientôt...

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